Dans le cadre de l'année de l'énergie [1], la Newsletter "hermann" de la société Helmholtz s'intéresse à certains aspects de la recherche en énergie. Dans la dernière édition, le Prof. Dr. Hans Müller-Steinhagen, Directeur de l'Institut de thermodynamique technique (ITT) du Centre allemand de recherche aérospatiale (DLR), explique la renaissance fulgurante et récente des centrales solaires thermiques [2] et le rôle de la recherche dans l'amélioration des techniques et des installations. Son interview est ici synthétisée.

- hermann : Pourquoi les centrales solaires thermiques produisant de l'électricité n'ont-elles été développées que récemment, alors que le principe de recueil de l'énergie solaire est connu depuis des millénaires ?

- Hans Müller-Steinhagen : La première centrale solaire thermique a été construite en 1912 en Egypte. Cependant, le pétrole constituant une source d'énergie bon marché, seule la crise du pétrole dans les années 70 a pu déclencher une évolution des mentalités et c'est au début des années 80 que les premières centrales solaire thermiques ont été rattachées au réseau en Californie, avec une participation allemande. Ces centrales livrent actuellement une puissance d'environ 350 MW. Par la suite cependant, les prix du pétrole et du gaz ont à nouveau chuté et le prix relativement élevé de l'électricité solaire a conduit à un ralentissement progressif des projets de construction.

- hermann : Le DLR effectue des recherches depuis 30 ans sur la technique du solaire thermique à concentration, recherches qui ont été réduites dans les années 2000. Pourquoi ?

- Müller-Steinhagen : Il n'y avait pas de marché à l'époque, et la plupart des instituts de recherche et entreprises avaient arrêté de travailler sur ce thème. Cependant le DLR a décidé en 2002 de continuer la recherche sur des fonds propres pendant 3 ans, avant de fixer une stratégie à long terme. Or, une loi de rémunération sur la mise en réseau a été votée en Espagne en 2003, suivie de près des premières annonces de projets de construction, relançant ainsi les projets de recherche. Mais si le DLR n'avait pas continué la recherche pendant 30 ans et formé des ingénieurs, l'industrie allemande, aujourd'hui leader mondial dans le domaine, n'aurait actuellement aucun poids.

- hermann : Aujourd'hui le solaire thermique semble représenter un grand espoir pour l'approvisionnement énergétique de l'avenir ; avec le projet Desertec [3], 400 milliards d'euros devraient être investis pour l'approvisionnement énergétique de l'Afrique du Nord et de l'Europe d'ici 2040. Comment ce tournant s'est-il déroulé ?

- Müller-Steinhagen : C'est le succès d'une science qui procède à long terme et de façon stratégique, et qui dispose des infrastructures essentielles au développement de technologies complexes à grande échelle. Même si aucune centrale n'a été bâtie pendant 20 ans, les centrales solaires thermiques mises en activité ces dernières années, comme Andasol 1 et 2, PS10 et PS20 en Espagne [4], ont montré que la technique fonctionne, et s'est beaucoup améliorée depuis les premières centrales californiennes. Depuis, des projets sont en cours dans le monde entier, correspondant à un budget total de 32 milliards d'euros, et chaque pays suffisamment ensoleillé construit des centrales, comme par exemple aux USA, en Australie, Egypte, Algérie, Maroc, Italie, Israel, Abu Dhabi et peut-être en Chine.

- hermann : Quelles sont les innovations présentes dans la recherche du DLR par rapport aux premières centrales solaires thermiques en Californie ?

- Müller-Steinhagen : Bien sûr, tous les composants ont été améliorés, comme les miroirs, les structures porteuses, les conduits d'absorption ou les réglementations. Par exemple, les nouvelles centrales solaires thermiques emploient des collecteurs cylindro-paraboliques développés par le DLR et ses partenaires. Par ailleurs, il a développé des procédés optiques pour la garantie de qualité de la construction et de l'exploitation des centrales. Enfin, le DLR a également développé des technologies alternatives aux procédés de stockage actuels, plus efficaces et bon marché, qui sont déjà testées sur les grandes installations en Espagne. Ces réservoirs de chaleur géants, permettant de produire de l'électricité même en l'absence de soleil [5], constituent une innovation de taille.

- hermann : A présent, la construction de centrales solaires thermiques est prévue dans le Sahara. Existe-t-il déjà des estimations sur la résistance des miroirs aux tempêtes de sable ? Les effets écologiques de telles centrales de grande puissance sont-ils connus, par exemple en ce qui concerne l'approvisionnement en eau ?

- Müller-Steinhagen : Les 90% du Sahara ne sont pas des déserts de sable, mais des déserts de roche. De plus, d'après nos analyses, les miroirs et conduits d'absorption des centrales californiennes, en activité depuis 25 ans, n'ont subi aucune usure. Les centrales proches de la côte peuvent être refroidies à l'eau, alors qu'à l'intérieur des terres le refroidissement par air est possible. Le DLR a effectué des analyses de cycle de vie pour les aspects écologiques et établi les ressources à mettre en oeuvre pour la fabrication des composés optiques et des plateformes d'acier. Ces analyses ont fait ressortir que les centrales solaires thermiques sont amorties énergétiquement sur une durée semblable aux éoliennes : après 6 mois environ, la centrale a déjà fourni l'énergie nécessaire pour la fabrication de ses composés et pour son édification.

- hermann : Des améliorations supplémentaires des centrales solaires thermiques sont-elles encore possibles ?

- Müller-Steinhagen : Et comment ! Les centrales à charbon sont déjà construites depuis 150 ans et sont encore améliorées actuellement. Pour les centrales solaires thermiques, nous avons besoin d'une recherche fondamentale de taille, par exemple pour les matériaux, les procédés optiques, les algorithmes de réglementation et les technologies de stockage. Actuellement, 20 chercheurs effectuent leur thèse au DLR sur ces sujets. Et ces résultats peuvent être testés sous des conditions réelles dans nos instituts d'essais en Espagne et dans le four solaire de Cologne-Porz. Par ailleurs, nous accompagnons l'industrie par la mise en place de nouveaux résultats dans l'application industrielle. Un sujet d'actualité est par exemple la production thermochimique de combustibles ou d'hydrogène au moyen de rayonnement solaire à haute concentration [6], par des températures supérieures à 1.000°C.

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  • [5] Jusqu'à 8 heures après le coucher du soleil. Ces réservoirs de plus de 14m de haut avec un diamètre de 36m sont remplis de sel liquide à 200°C, qui est chauffé jusqu'à 300 ou 400 °C durant le jour grâce à la chaleur du soleil non utilisée pour la production d'électricité. Lorsque le soleil ne brille plus, le sel est refroidi à 300°C et la chaleur libérée produit de la vapeur sous haute pression et haute température. Ainsi l'électricité produite est moins aléatoire que pour l'éolien ou le photovoltaïque.



Pour en savoir plus :
  • [1] "L'année de la science 2010 consacrée à l'avenir énergétique", BE Allemagne 468 - 27/01/2010 - ADIT
  • [2] Les centrales solaires thermiques transforment l'énergie solaire en électricité grâce à des turbines à vapeur. Informations supplémentaires : " Les avantages du solaire thermique, histoire et perspectives ", BE Allemagne 447 - 30/07/2010 - ADIT
  • [3] Desertec : Des installations solaires thermiques gigantesques doivent être construites dans les déserts du MENA ; le transport d'électricité du sud vers l'Europe doit être garanti par un réseau CCHT (courant continu à haute tension), avec pour objectif de couvrir 15% de l'approvisionnement énergétique européen. Informations supplémentaires : "L'électricité du désert : de la vision à la mise en place pratique - Lancement du projet enerMENA à Almeria", BE Allemagne 471 - 18/02/2010 - ADIT
  • [4] Informations supplémentaires : "Les centrales thermo-solaires ont le soleil en poupe", BE Espagne 81 - 23/04/2009 - ADIT
  • [6] "De l'hydrogène synthétisé à partir d'énergie solaire", BE Allemagne 468 - 27/01/2010 - ADIT


Source:

  • "Lösungen für morgen: Solarthermische Kraftwerke im Sonnengürtel der Erde" , Interview Prof. Dr. Hans Müller-Steinhagen - hermann - février 2010 - Hermann (DE)


Rédacteur :
  • Claire Vaille, Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. - science-allemagne.fr


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