Cette semaine, je reviens sur un sujet important que j'aborde régulièrement dans RT Flash, celui de la place des énergies renouvelables, et notamment de l’éolien marin, dans la transition énergétique vers un monde sans émissions de CO2 liées aux activités humaines, un objectif, nous le savons à présent, qu’il nous faut atteindre le plus rapidement possible, si nous voulons, non pas arrêter le changement climatique de grande ampleur en cours, mais en limiter les conséquences les plus désastreuses pour nos sociétés, en essayant de rester sous la barre d’une augmentation moyenne de deux degrés de la température mondiale.

Si je reviens sur ce sujet, c’est parce qu'en seulement quelques mois, plusieurs ruptures technologiques décisives ont eu lieu dans ce domaine. Les trois premières, nous allons le voir, concernent les performances des éoliennes elles-mêmes ; les suivantes, nous le verrons, concernent de nouvelles techniques de stockage et de production d’énergie utilisant l’hydrogène, notamment la récente technologie PCEC (protonic ceramic electrochemical cell) qui va bientôt permettre de convertir, avec une bien plus grande efficacité, l’électricité en hydrogène, et l’avènement de nouveaux types d’électrodes en micro-fibres, capables de produire en grande quantité, pour un coût énergétique réduit, de l’hydrogène par électrolyse de l’eau.

Enfin, la dernière innovation, sans doute la plus importante, en termes de construction d’un nouveau modèle énergétique intégrant la production, le stockage et la distribution d’énergie propre, est le concept de « vehicle-to-grid, autrement dit, de voitures propres (à hydrogène ou électrique) conçues pour fonctionner comme des unités autonomes de production et de stockage d’énergie, connectées de manière intelligente au réseau de distribution.

Avec un peu plus de 100 TWh générés dans le monde (l’équivalent d’un peu moins de 20 % de la production française annuelle d’électricité), fin 2020 (dont les deux-tiers dans l’Union européenne), l’éolien marin ne comptera encore que pour 0,5 % de la production électrique mondiale, qui sera de l’ordre de 25 000 TWh à la fin de l'année en cours. Mais, selon l’AIE, et de nombreux autres organismes et laboratoires de recherche, le potentiel énergétique de l’éolien marin est absolument gigantesque : il pourrait, en théorie, produire plus de 420 000 TWh par an au niveau mondial, soit onze fois la demande mondiale d’électricité de la planète prévue à l’horizon 2040. Il y a un an, l’AIE estimait, en tenant compte des différentes contraintes géographiques, climatiques et économiques et techniques, que l’éolien offshore pourrait produire au niveau mondial près de 1 280 TWh en 2040, soit environ 3 % de la production mondiale globale d'électricité par an envisagée à cet horizon.

Mais l’ensemble des innovations techniques très récentes, que je vais rapidement évoquer, risquent fort de bouleverser ces prévisions car, si on considère la formidable synergie que représente l’interconnexion de ces avancées, et si l’on anticipe la baisse considérables des coûts de production de l’électricité marine, résultant des économies d’échelle liées à l’arrivée de machines gigantesques, d’une efficacité énergétique qu’on pensait inatteignable il y a encore 5 ans, ce n’est plus 3 % de l’électricité mondiale qui pourrait être produite par l’éolien marin dans 20 ans, mais 25 ou 30 %, ce qui veut dire que les énergie renouvelables (éolien, solaire et hydraulique principalement), qui représentent environ 26 % de la production électrique mondiale (hors nucléaire), pourraient couvrir plus des deux-tiers de cette production en 2040 (toujours hors nucléaire), de quoi réduire de 20 % les émissions de CO2 dues à la production d’électricité (environ 7 gigatonnes par an, soit 13 % des émissions humaines totales de GES en 2019) en dépit d’une hausse attendue de 45 % de la production électrique planétaire d’ici 2040…

Venons-en à présent à ces innovations dont nous n’avons pas encore pris pleinement la mesure, et qui vont radicalement transformer le paysage énergétique mondial et accélérer, il faut l’espérer, la nécessaire décarbonisation de nos économies.

La première de ces ruptures technologiques est l’annonce, il y a quelques semaines, d’une nouvelle génération d’éoliennes marines par Siemens Gamesa, qui domine ce marché. Ce constructeur proposait jusqu’à présent une machine de 8 MW, dont les pales ont une longueur de 81,5 mètres et le rotor un diamètre de 167 mètres, et qui devrait équiper les premiers parcs offshore français. L’autre géant des mers était l’Haliade X, de General Electric, une machine de 12 MW, munie de pales de 107 mètres de long et d’un rotor ayant un diamètre de 220 mètres, présentée il y deux ans.

Mais la machine présentée par Siemens Gamesa est véritablement colossale et fait entrer l’éolien marin dans une nouvelle dimension : une puissance nominale de 14 MW (pouvant être débridée à 15 MW), des pales de 108 mètres, un rotor de 222 mètres, et un poids de nacelle de 500 tonnes, qui reste relativement léger (grâce à la maîtrise de la technique de l’entraînement direct), compte tenu de ses dimensions hors normes. Une seule de ces machines pourra fournir, en moyenne, 90 millions de kWh par an, assez d’électricité pour couvrir la consommation d’environ 18.000 ménages européens. En théorie, 900 de ces éoliennes marines géantes pourraient produire, en moyenne annuelle, autant d'électricité que l'ensemble de nos barrages, qui assurent environ de 10 % de la production nationale totale d'électricité.

Autre innovation majeure, l’arrivée d’une nouvelle génération d’éoliennes offshore flottantes géantes, comme celles de 8,4 mégawatt (MW), qui ont été installées il y a quelques mois au large des côtes portugaises, dans le parc marin MHI Vestas, à 20 kilomètres au large de la côte de Viana do Castello. Il s’agit de la première des trois unités semi-submersibles, conçues par Principle Power pour accueillir les éoliennes du parc MHI Vestas qui fournira au total 25 MW d’énergie éolienne flottante.

En France, fin 2019, l’un des quatre projets de ferme d’éoliennes flottantes, EFGL (Éoliennes flottantes du Golfe du Lion (EFGL), porté par Engie Green, a décidé de passer de 4 à 3 éoliennes seulement, en se dotant d’éoliennes flottantes de nouvelle génération, d’une puissance-record de 10 MW. Ce parc marin, qui sera construit au large de Leucate et devrait entrer en service en 2022, pourra donc, au final, disposer d’une puissance de 30 MW au total, soit l'équivalent de la consommation électrique de plus de 50 000 personnes.

Cette nouvelle génération de machines flottantes de grande puissance présente l’avantage décisif, en termes d’impact environnemental et esthétique, de pouvoir être implantée beaucoup plus loin des côtes, puisqu’elles peuvent être ancrées sur des fonds allant jusqu’à 300 mètres de profondeur. Elles bénéficient de ce fait de vents plus forts et plus constants, ce qui augmente leur facteur de charge d’un tiers (à puissance comparable) par rapport aux éoliennes marines conventionnelles. Une autre avancée technique en cours de développement va bouleverser le paysage énergétique, le couplage de l’éolien et de la production propre d’hydrogène. Il faut en effet rappeler que, quels que soient les progrès qui interviennent dans l’efficacité énergétique des éoliennes, l’énergie du vent reste, par nature, localement intermittente, même si de puissants modèles informatiques permettent à présent de prévoir, avec une bonne précision, le rendement énergétique moyen d’un site éolien. Il est donc capital de coupler les éoliennes à de nouveaux outils de stockage de l’énergie plus performants et plus fiables.

C’est dans cette perspective que l’entreprise britannique ITM Power et l’énergéticien danois Ørsted travaillent depuis deux ans à intégrer un électrolyseur dans une éolienne pour produire de l’hydrogène directement sur site, à partir d’eau de mer, cet hydrogène devant ensuite être acheminé par pipe-line vers les côtes. De son côté, Lhyfe, producteur d'hydrogène vert, mettra en service en mai 2021 une unité d'électrolyse alimentée en eau dessalée et branchée sur un parc de huit éoliennes à Bouin en Vendée ; cette entreprise espère ensuite proposer de véritables plates-formes de production d’hydrogène en mer. A Grenoble, la jeune société Sylfen, avec son Smart Energy Hub, parie pour sa part, sur une solution hybride, destinée à l’habitat, qui associe batteries et électrolyseur convertible en pile à combustible, pour obtenir un système qui, à l’aide du vecteur hydrogène, peut à la fois produire et stocker de l’énergie issue de sources renouvelables.

Reste que l’intégration massive dans les réseaux de distribution de sources de production d’électricité intermittentes, et fortement fluctuantes, va nécessiter plusieurs révolutions technologiques qui font appel à la fois à la physique, la chimie, l’électronique et les outils numériques. Parmi celles-ci, il faut évoquer la récente technologie PCEC (cellule électrochimique céramique protonique) qui promet une conversion bien plus efficace et durable de d’électricité en hydrogène.

Il y a quelques semaines, une équipe de recherche conduite par le Docteur Dong Ding, du Laboratoire National de l’Idaho (INL) a présenté une nouvelle électrode à oxygène, de type TCO (triple conducting oxide), une céramique à base de pérovskite. Ces chercheurs ont pu montrer que ce nouveau type d’électrode PCEC permettait d’envisager la réalisation de systèmes électrochimiques capables de fonctionner entre 400°C et 600°C avec des performances améliorées (Voir Nature).

Mais surtout, ces nouvelles cellules à triple conduction, permettant à la fois la circulation de protons, d’électrons et d’ions oxygène, seront réversibles, ce qui signifie qu’elles pourront transformer l’électricité excédentaire provenant des sources renouvelables, en hydrogène, pour stocker cette énergie sous forme chimique, mais qu’elle pourront également, avec un excellent rendement (de l’ordre de 75 %), et une grande longévité (seulement 2 % de diminution pour 1000 heures de fonctionnement) retransformer cet hydrogène en électricité, pour répondre, par exemple, à une brusque augmentation de la consommation sur le réseau, ou à une chute rapide de la production provenant de l’éolien. Comme le souligne le Docteur Ding, « Cette nouvelle électrode triple conduction représente une avancée majeure dans le domaine de l’électrolyse haute température, car elle ouvre la voie à des systèmes PCEC qui pourront reconvertir en électricité l’hydrogène généré par électrolyse, de manière réversible et efficace, sans apport extérieur d’hydrogène ».

Une autre équipe américaine, de l’université privée Duke (Durham-Caroline du Nord), dirigée par le Professeur Ben Wiley, a récemment annoncé qu’elle avait mis au point une électrode en microfibre de nickel qui battait tous les records de performances, en matière de production d’hydrogène par électrolyse.

Ces chercheurs ont en effet montré que cette nouvelle électrode pouvait, pendant quatre jours durant, produire de l’hydrogène à une densité de courant de 25 000 milliampères par centimètre carré, soit une efficacité énergétique 50 fois plus élevée que celle des électrolyseurs alcalins classiques actuellement utilisés pour l’électrolyse de l’eau…

Cette percée technologique pourrait faire sauter un verrou majeur, car actuellement, la méthode la moins onéreuse pour produire des quantités industrielles d’hydrogène n’est pas l’électrolyse, contrairement à ce que pense le grand public, mais le vaporeformage, une technique qui consiste à séparer le gaz naturel (méthane) avec de la vapeur très chaude (1000°), et qui est à la fois très énergivore et très émettrice de CO2 (environ 10 tonnes de C02 pour chaque tonne d’hydrogène produite) (Voir Duke Today). Ces deux avancées ouvrent donc la voie vers la conversion massive, propre, réversible et à faible coût, de l’électricité en hydrogène, et vice-versa, ce qui devrait constituer un puissant facteur d’accélération du développement de l’éolien marin, qui produit de manière fluctuante d’énormes quantités d’électricité.

En attendant que ces innovations technologiques en matière de conversion et de stockage puissent être directement intégrées dans les parcs éoliens marins, de manière à démultiplier leur efficacité énergétique, les recherches s’intensifient également du côté des batteries, en utilisant le concept prometteur de « vehicle connecté au réseau » (Vehicle to Grid). On sait notamment, depuis quelques semaines, que Tesla, qui mise beaucoup sur ce concept, a intégré un chargeur bidirectionnel dans la Tesla Model 3 et dans son nouveau SUV Model Y. Tesla a en outre choisi un système triphasé qui peut fonctionner dans le monde entier : une simple mise à jour logicielle suffit à activer la charge bidirectionnelle, selon la firme d’Elon Musk.

En France, EDF a lancé en mai 2019 sa filiale Dreev, dédiée aux collectivités et entreprises. Il s’agit d’une borne bi-directionnelle de recharge de véhicule électrique (VE) de 11 kW, capable de fournir, lorsque les véhicules sont à l’arrêt, de l’énergie au réseau, en cas de brusques augmentations de la consommation électrique globale. EDF, par le biais de sa filiale Izivia, a pour ambition de déployer d’ici 2022, dans quatre pays : la France, le Royaume-Uni, la Belgique et l’Italie, 75 000 bornes de recharge, dont plusieurs centaines de bornes réversibles, de typeV2G.

L’ensemble de ces nouveaux moyens et outils de stockage et de gestion intelligente de l’énergie vont donc accélérer le déploiement de cet éolien marin de très grande capacité, qui assure déjà en Ecosse une production électrique deux fois supérieure à celle de la consommation domestique de ce pays, alors que la Grande Bretagne vient, pour sa part, d’annoncer qu’elle allait passer la part de l’éolien marin dans sa production d’électricité de 20 % à 35 % en 2030.

En France, après des années d’atermoiements, l’éolien marin décolle enfin. EDF vient en effet d’annoncer, il y a quelques jours, la mise en chantier prochaine de la première ferme française d’éoliennes marines au large de Fécamp en Normandie. Ce projet gigantesque de 500 MW, qui devrait être suivi par la réalisation d’ici 2024 de cinq autres parcs éolien marins, permettra d’alimenter environ 770 000 foyers en électricité. Dans dix ans, l’éolien marin pourrait produire au moins 30 Twh par an en France, soit plus de 6 % de notre consommation annuelle d’électricité, ou encore l’équivalent de quatre gros réacteurs nucléaires. Quant au coût de production du MW éolien, il est estimé à 150 Euros pour ce premier parc de Fécamp, un niveau sensiblement plus élevé que celui de l’éolien terrestre mais assez proche de celui du nucléaire : 120 euros le MW, selon la Cour des Comptes, si l’on intègre la mise aux nouvelles normes de sécurité de nos centrales nucléaires, avec le « grand carénage ».

Mais, au-delà de la prouesse technologique que représente la mise au point de ces dernières géantes des mers, et des systèmes de stockage et de transport d’énergie de plus performants qui s’y connectent, l’éolien marin du futur représente un potentiel de développement industriel tout à fait considérable, ainsi qu’un gisement très important d’emplois pérennes et qualifiés. Deux opportunités de croissance durable que notre pays doit absolument saisir, sous peine d’être distancé dans la compétition mondiale qui s’exacerbe sur le marché des technologies vertes.

Pour s’en convaincre, il faut rappeler qu’il y a quelques jours Siemens Gamesa a retenu le groupement mené par GTM Normandie-Centre (VINCI Construction France) pour construire dans le port du Havre sa nouvelle usine de fabrication d'éoliennes marines géantes qui doit équiper les parcs en mer de Fécamp (71 éoliennes) et Saint-Brieuc (62). Il s’agit du plus grand projet industriel de l'histoire des énergies renouvelables en France et cette usine sera la première au monde à produire, sur un même site, tous les composants d'une éolienne offshore. Le groupement, qui, outre VINCI Construction et Eurovia Haute-Normandie, est composé à plus d'un tiers d'entreprises locales, utilisera des matériaux produits en Normandie et devrait permettre de créer 1 400 emplois locaux directs et indirects.

Or, si l’éolien marin est appelé à produire plus du quart de l’électricité mondiale d’ici 2040, comme le pense un nombre croissant d’experts et d’études prospectives, il faudra construire, au cours de ces 20 prochaines années, pas moins de 160 000 éoliennes marines géantes - 8 000 par an -, du type de la nouvelle machine de 14 MW qui vient d’être présentée par Siemens-Gamessa. A ces machines s’ajouteront, bien sûr, les systèmes très sophistiqués de conversion et de stockage réversible d’énergie par hydrogène qui devront assurer la distribution intelligente de cette électricité verte dans les réseaux.

La France qui a la chance de posséder un immense domaine maritime de 11 millions de km, doit mobiliser toutes ses compétences humaines, et son savoir-faire technologique, pour devenir un acteur majeur, et pourquoi-pas s’affirmer comme le leader mondial dans cette révolution technique et industriel qui va changer nos économies et nos sociétés. Un premier pas vient d’être fait avec la relance des projets éoliens marins annoncé par le gouvernement d’ici 2024, mais il faut aller beaucoup plus loin et plus fort, pour que, dans dix ans, nous ayons rattrapé nos voisins anglais et allemands et soyons devenus pionniers dans cette nouvelle aventure humaine et technologique, qui nous permettra à la fois d’apporter une contribution décisive à la lutte contre le changement climatique, de renforcer notre indépendance énergétique, de réduire considérablement les effets dévastateurs de la pollution de l’air sur notre santé et de relancer notre développement économique sur des bases durables et porteuses d’une meilleure qualité de vie pour tous.

Sénateur honoraire Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat e-mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.


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