Le 25 juin, le Président Obama a annoncé un plan d’une ambition et d’un volontarisme politique sans précédent pour réduire les émissions de gaz à effet de serre aux Etats-Unis et lutter contre le réchauffement climatique(Voir The White House et l'analyse du MIT).

Dans un discours historique, le Président américain a rappelé que 2012 avait été l'année la plus chaude jamais enregistrée aux Etats-Unis et que « Les Américains, partout dans le Pays, payent déjà le prix de l'inaction contre le réchauffement ». Il a poursuivi en soulignant que « La question est de savoir si nous aurons le courage d'agir avant qu'il ne soit trop tard et la manière dont nous répondrons aura un profond impact sur le monde que nous laisserons ...à nos enfants et nos petits-enfants ».


Le Président Obama a ensuite affirmé sa volonté de s'attaquer aux émissions de gaz à effet de serre produites par les centrales au charbon. Il s'est aussi engagé à promouvoir davantage les sources d'énergie propre et à agir pour mieux protéger les Américains des effets du réchauffement.

Concrètement, les Etats-Unis vont réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 17 % par rapport à leur niveau de 2005.

Pour atteindre ce nouvel objectif, le Président a demandé à l'Agence de protection de l'environnement (EPA) de travailler étroitement avec les Etats, l'industrie et les autres parties prenantes pour établir d’ici un an de nouvelles normes de pollution au gaz carbonique pour les centrales au charbon.

Barack Obama a également proposé huit milliards de garantie de prêts pour encourager des investissements dans des technologies innovantes dans les énergies fossiles et l'efficacité énergétique. Il a par ailleurs souhaité que six millions de foyers américains disposent d’une électricité issue des énergies renouvelables d’ici 2020.

L’ensemble de ces actions doit permettre, selon le Président américain, de réduire de moitié les émissions américaines de CO2 d’ici 2030. Ces 3 gigatonnes annuelles de CO2 en moins correspondent à 9 % des émissions mondiales de CO2 en 2012, ou encore aux trois quarts des émissions européennes de CO2.

Ce plan très ambitieux a immédiatement été salué par l’ancien vice-président Al Gore qui y voit « Le meilleur discours sur le climat jamais prononcé par un président ». Il a également obtenu un soutien enthousiaste de toutes les grandes associations américaines de protection de l’environnement et d’une très large partie de la communauté scientifique américaine

Il reste qu’au-delà des discours et des déclarations de bonne intention des responsables politiques, des états et des institutions internationales, comme l’ONU et le Giec, la réalité est tenace : au rythme actuel, le charbon deviendra la première source d’énergie mondiale d’ici 2020, dépassant le pétrole avec une consommation planétaire annuelle de 4,4 gigateps.

Mais, plus grave encore, le charbon assure aujourd’hui 40 % de la production mondiale d’électricité (70 % en Inde et 80 % en Chine) et cette part, selon les dernières prévisions de l’ONU, sera encore de 33 % en 2035, même si parallèlement, la part des énergies renouvelables dans la production électrique mondiale (en incluant l’hydraulique), qui est aujourd’hui de 20 %, devrait atteindre 25 % en 2020 et 30 % en 2035.

Actuellement, on estime que la consommation électrique annuelle dans le monde est légèrement supérieure à 20 000 TWh (pour une production de 22 000 TWh par an).

Même si l’électricité ne représente que 17 % de la consommation totale d’énergie dans le monde, loin derrière le pétrole (41,6 %), sa consommation est en forte augmentation. Au cours de 40 dernières années, cette consommation électrique mondiale a été multipliée par trois, alors que la consommation énergétique mondiale n’a été multipliée que par deux et atteint à présent 12,5 gigatonnes par an.

La consommation électrique de la Planète va continuer à augmenter fortement, sous l’effet mécanique de l’évolution démographique mondiale mais également du développement économique très important en Asie et de l’essor prévisible des véhicules électriques.

Selon l’A.I.E. (Agence Internationale de l’Energie), la production d’électricité, qui atteint aujourd’hui 22 000 TWh par an, pourrait atteindre 29 000 TWh en 2030 et devrait plus que doubler d’ici 2050, pour atteindre 43 400 TWh (pour une consommation finale de 39 000 TWh). L’AIE précise que 80 % de cette électricité supplémentaire seront consommés dans les pays émergents.

Le scénario énergétique de l’AIE montre également que la consommation moyenne annuelle d’électricité par terrien, en dépit des progrès en matière d’économie d’énergie et d’efficacité énergétique, risque d’augmenter de 64 % d’ici le milieu de ce siècle (et de 48 % par habitant, si l’on tient compte de l’augmentation de la population mondiale qui devrait atteindre 9,3 milliards d’individus en 2050).

Cette forte augmentation résultera à la fois de l’évolution de la démographie mondiale (2,3 milliards d’êtres humains en plus d’ici 2050), du développement économique et de l’augmentation du pouvoir d’achat et du niveau d’équipement ménager dans de vastes parties du monde. Ces facteurs combinés vont se traduire par une hausse du niveau d’équipement domestique dans de multiples domaines, électroménager, informatique, multimédia et climatisation… 

Mais il faut également prendre en compte un autre paramètre, souvent ignoré, dans les prévisions de forte augmentation de la production électrique mondiale d’ici 2050, celui de la montée en puissance des véhicules électriques. Or, si l’on admet l’hypothèse, relativement prudente, qu’il y aura au moins un tiers de véhicules électriques en 2050 (pour un parc mondial qui comptera au moins 2,5 milliards de véhicules à cette échéance), un rapide calcul permet d’évaluer à 1000 TWh par an les besoins spécifiques en électricité de ces véhicules.

Ces besoins en électricité peuvent sembler considérables en valeur absolue (ils représentent tout de même presque deux fois la production électrique annuelle de la France) mais ils sont en fait modestes en pourcentage, puisqu’ils ne représenteraient que 2,5 % de la production électrique mondiale prévue en 2050 par l’AIE. En revanche, ces 825 millions de véhicules électriques permettraient de réduire de plus d’un milliard de tonnes par an nos émissions de CO2 liées aux transports, ce qui contribuerait à l’indispensable réduction de nos émissions globales de carbone. 

Il faut savoir qu’aujourd’hui, en dépit d’une réelle montée en puissance des énergies renouvelables depuis 10 ans, les deux tiers de la production électrique mondiale sont encore assurés de manière thermique, à partir des énergies fossiles. Pire encore, à l’intérieur de cette production thermique d’électricité, le charbon se taille la part du lion, notamment en Chine, et représente plus de 60 % de l’énergie consommée.

Il faut également rappeler qu’au niveau mondial, contrairement à la situation qui prévaut en France, le nucléaire ne représente plus que 11 % de la production d’électricité et, sauf ruptures technologiques majeures, comme la maîtrise anticipée de la fusion thermonucléaire contrôlée et des réacteurs de quatrième génération à neutrons rapides permettant d’apporter une solution nouvelle à la question lancinante de l’élimination des déchets très radioactifs à longue vie, il est peu probable que la part du nucléaire augmente de manière sensible au cours de ces prochaines décennies.

L’utilisation de cette énergie, bien qu’elle présente l’immense avantage d’être très peu émettrice de gaz à effet de serre et de ne pas contribuer au réchauffement climatique, se heurte en effet de plus en plus à l’opposition, voire à l’hostilité des populations concernées.

En outre, la catastrophe majeure de Fukushima a notamment débouché sur l’adoption de normes de sécurité beaucoup plus draconiennes. Cette mise aux normes des centrales nucléaires a un coût très important qui constitue également un obstacle supplémentaire à son développement massif. Une étude du World Nuclear News, publiée il y a quelques jours, montre d’ailleurs que la production électronucléaire mondiale a régressé de 7 % depuis 2011, revenant à son niveau de 1999.

On estime qu’en 2012, environ 20 % de l’électricité mondiale ont été produits à partir d’énergies renouvelables (principalement l’hydraulique, avec 15 %, le solde, soit 5 % ayant été produits par la biomasse, le solaire et l’éolien).

Le problème est que, si la consommation électrique mondiale augmente en valeur absolue selon les prévisions de l’AIE, cela signifie que pour produire en 2050 la moitié de l’électricité mondiale à partir d’énergies renouvelables (hors nucléaire et hors hydraulique), il faudra, compte tenu de la très forte augmentation en valeur absolue de la demande électrique, et en supposant que les parts respectives du nucléaire et de l’hydraulique restent à peu près constantes, produire de manière propre autant d’électricité (21 700 TWh par an) que n’en consomme aujourd’hui chaque année toute la Planète !

Un tel objectif énergétique  -faire passer la production décarbonée d’électricité de 20 % à 80 % (en incluant l’hydraulique et le nucléaire) d’ici 2050- est pourtant indispensable si nous voulons réduire de moitié les émissions de CO2 au niveau mondial (ce qui suppose de les diviser au moins par trois dans les pays développés), pour redescendre à 16 gigatonnes de CO2 par an (contre 31,6 en 2011), seuil maximum que la Terre peut absorber, et éviter ainsi une catastrophe climatique de grande ampleur.

Pouvons-nous atteindre cet objectif qui suppose de passer de 4,5 tonnes d’émissions de CO2 par terrien et par an, en moyenne, à 1,7 tonne d’ici 2050 ?

La réponse à cette question n’est évidemment pas simple car elle dépend d’une multitude de paramètres technologiques, économiques, sociaux et politiques mais je crois néanmoins que ce défi n’est pas insurmontable et que nous pouvons le relever, à condition toutefois de ne pas nous enfermer dans des raisonnements et des schémas de pensée du passé et d’intégrer notamment la notion de « ruptures technologiques provoquées ».

Une étude remarquable et très argumentée réalisée en 2009 par deux éminents chercheurs de l'Université de Stanford, Mark Z. Jacobson et Mark A. Delucchi et intitulée "Assurer la totalité de l'énergie mondiale avec le vent, l'eau et l'énergie solaire (WWS)", montre qu’au milieu de ce siècle, 60 % de la consommation mondiale d’électricité pourraient être assurés par l’eau (9 %) et le vent (51 %), le solde, soit 40 %, étant fourni par l’énergie solaire.

Dans cette étude, les chercheurs ont même chiffré le nombre d’éoliennes nécessaires pour atteindre cet objectif. Il faudrait environ 3,8 millions d'éoliennes, d’une puissance unitaire de 5 MW.

S’agissant des centrales solaires, ces chercheurs ont calculé qu’il faudrait mettre en service environ 99 000 unités (d’une puissance unitaire moyenne de 300 MW), complétées par 900 installations hydroélectriques, dont les deux tiers sont déjà construites aujourd’hui.

Selon cette étude, cette vaste transition énergétique mondiale supposerait un investissement global de l’ordre de 70 000 milliards d'euros sur 20 ans, ce qui représente une dépense annuelle inférieure à 5 % du produit mondial brut pendant cette période (Voir Synthèse et article complet).

Toutefois, ces prévisions reposent sur un certain nombre d’hypothèses discutables. Elles tablent notamment sur une réduction globale de 30 % de la consommation mondiale d’électricité.

Or il n’est pas du tout certain, en dépit des progrès accomplis en matière d’économie d’énergie et d’efficacité énergétique, que la demande mondiale d’électricité augmente moins vite ou se stabilise d’ici 2050, surtout si l’on prend en compte la forte croissance démographique mondiale et la forte progression des différents équipements domestiques qui accompagnera très probablement l’augmentation du niveau de vie et du pouvoir d’achat des foyers en Asie et dans une large partie de l’Amérique latine.

Il m’a donc semblé intéressant de bâtir un scénario énergétique fictif, en partant volontairement des hypothèses les plus prudentes et les plus réalistes, pour évaluer ce que représente très concrètement la production « propre » (hors hydraulique et hors nucléaire), reposant principalement sur l’éolien, le solaire et les énergies marines, de la moitié de l’électricité mondiale en 2050, soit 21 700 TWh par an.

Bien qu’aujourd’hui la production d’électricité éolienne dépasse largement la production d’électricité solaire et marine, un nombre croissant de scientifiques s’accordent à considérer que dans 30 ou 40 ans, la majeure partie l’électricité propre pourrait être produite par l’énergie solaire (thermodynamique et photovoltaïque), si l’on intègre les ruptures technologiques majeures, déjà annoncées et en cours d’expérimentations, en matière de cellules photovoltaïques, avec notamment l’arrivée sur le marché, d’ici cinq à 10 ans de cellules souples organiques à faible coût de production et à haut rendement.

Il est donc réaliste d’imaginer un scénario énergétique mondial dans lequel, à l’horizon 2050, 30 % de la production électrique planétaire seraient assurés par l’énergie solaire, 20 % de cette production seraient assurés par l’éolien, essentiellement marin et 10 % par les énergies marines (courants marins, énergie des vagues, énergie thermique des mers et énergie marémotrice).

L’autre moitié de cette production électrique mondiale serait fournie pour 15 % par l’énergie hydraulique, pour 10 à 15 % par le nucléaire, pour 5 % par la biomasse, le solde, de l’ordre de 20 %, étant fourni par des énergies fossiles (principalement du gaz).

Dans ce scénario, qui permettrait une réduction de plus des deux tiers des émissions de CO2 liées à la production électrique, il faudrait donc produire 6 500 TWh à partir d’énergie solaire, 4 340 TWh, à partir de l’éolien et 2 170 TWh, à partir des énergies marines.

Un rapide calcul nous indique qu’il suffirait d’environ 33 000 km² de surface solaire photovoltaïque (dans des zones d’ensoleillement moyen et avec un rendement prévisible de l’ordre de 20 %) pour fournir cette électricité.

S’agissant de l’éolien, les 4 340 TWh (20 % de la production mondiale d’électricité) prévus, représenteraient, en faisant abstraction du parc éolien terrestre déjà installé, environ 1,5 million d’éoliennes marines géantes, d’une puissance unitaire de 10 MW, produisant chacune 30 millions de kilowatts heure par an en moyenne.

En supposant que ce vaste plan énergétique soit mis en œuvre à partir de 2015, il faudrait donc installer chaque année au niveau mondial environ 43 000 éoliennes marines et environ 950 km² de panneaux solaires photovoltaïques.

Quant aux 2 170 TWh (10 % la production électrique mondiale) qui seraient issus des énergies de la mer, ils représenteraient environ 16 % du potentiel énergétique mondial exploitable de l’ensemble des énergies marines (10 000 TWh pour l’énergie thermique des mers, 1600 TWh pour l’énergie osmotique, 1400 TWh pour l’énergie issue de la houle, 400 TWH pour l’énergie des courants marins et 400 TWH pour l’énergie des marées), estimé à 13 800 TWh par an, en prenant comme référence les estimations les plus prudentes.

Ce scénario énergétique, qui, pour être plus réaliste, se base volontairement sur l’hypothèse d’une forte croissance de la demande électrique mondiale et prend en compte les valeurs les plus basses du potentiel énergétique réellement exploitable des énergies solaires, éoliennes et marines, montre donc qu’il est tout à fait possible de produire d’ici 2050 la moitié de l’électricité mondiale à partir du soleil, de l’eau et du vent, énergies propres, gratuites et inépuisables.

Si l’on admet dans cette hypothèse que l’hydraulique et le nucléaire de prochaine génération puissent fournir au moins 30 % de l’électricité de la Planète, il ne restera que 20 % de l’électricité mondiale à produire à partir d’énergies fossiles. Mais encore, pour cette part difficilement réductible, faut-il préciser qu’elle pourrait être assurée essentiellement par le gaz naturel, qui émet deux fois moins de CO2 que le charbon et peut-être même par l’hydrogène qui n’émet pas du tout de gaz à effet de serre.

Toutefois, comme le montrent la plupart des études prospectives réalisées sur cette question de la transition énergétique mondiale, les obstacles à cette mutation énergétique sans précédent ne sont pas tant techniques qu’économiques et politiques.

Un basculement énergétique d’une telle ampleur en si peu de temps ne pourra être accompli qu’à condition de bénéficier d’un soutien massif et actif des opinions publiques et d’être accompagné par l’instauration progressive d’une taxe carbone universelle, qui intègre le vrai coût environnemental de l’utilisation des énergies fossiles.

Parallèlement, il faudra également supprimer l’ensemble des subventions publiques directes et indirectes dont bénéficient les énergies fossiles et qui rendent celles-ci artificiellement plus attractives sur le plan économique que les énergies renouvelables.

Nous devons également avoir bien présent à l’esprit, comme l’a montré de manière implacable le rapport de Sir Nicholas Stern, que le coût de l’inaction en matière énergétique, climatique et environnementale, serait infiniment plus important et désastreux pour l’espèce humaine toute entière que des dépenses d’investissement, certes élevées mais tout à fait supportables par l’économie mondiale.

Il appartient à présent aux citoyens de tous les pays du monde d’exercer une pression démocratique constante sur leurs dirigeants pour qu’ils se donnent enfin les moyens de relever ce défi de civilisation et laissent à nos descendants une planète vivable.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

 

 


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